Etrange trajectoire que celle de l’ancien Premier ministre de Nicolas Sarkozy. En mars 2011 pendant la campagne des cantonales il déclarait :
Là où il y a un duel entre le Parti socialiste et le Front national, nous devons d’abord rappeler nos valeurs et nos valeurs ne sont pas celles du Front national. Nous devons appeler nos électeurs à faire le choix de la responsabilité dans la gestion des affaires locales. Tout cela conduit à voter contre le Front national.
Et voilà ce qu’il déclarait avant-hier :
Tous les candidats appellent les électeurs à voter pour eux. C’est le jeu des élections. Ce que Nadine Morano a dit, c’est que certains électeurs FN partagent les valeurs de Nadine Morano et, moi, je partage aussi les valeurs de Nadine Morano.
Bien sûr, François Fillon se défend d’avoir ainsi voulu dire qu’il partageait les valeurs du Front National, ce qui n’est d’ailleurs à mon avis pas le cas, mais l’essentiel n’est pas là.
En vue, la bataille de l’UMP
En allant soutenir Nadine Morano dans la cinquième circonscription de Meurthe-et-Moselle, François Fillon se positionne pour la bataille de l’UMP qui devrait commencer au lendemain du second tour des élections législatives et culminer à l’automne avec l’élection du nouveau président du parti.
Toutes les études montrent que les sympathisants et militants UMP sont majoritairement favorables à un accord politique avec le Front National de Marine le Pen. La frontière entre les électorats de ces deux formations est de plus en plus poreuse et il n’est pas rare d’entendre dans la bouche de militants et sympathisants UMP des propos qui auraient été ceux du FN il y a encore dix ans. Certains parlent de “lepénisation des esprits”, je ne sais pas si le terme est juste mais force est de constater que les idées du parti de Marine le Pen progressent dans la société française, essentiellement à droite mais certainement pas uniquement.
Mon analyse est que François Fillon fait ce constat et qu’il ne veut pas se faire déborder sur sa droite par un Jean-François Copé qui ne cache pas son ambition de poursuivre à l’UMP la stratégie dite “Buisson” qu’a suivie Nicolas Sarkozy pendant la majeure partie de son quinquennat et pendant l’élection présidentielle. L’ancien Premier ministre considère qu’il n’est pas possible aujourd’hui de gagner l’UMP avec une ligne gaulliste-sociale menée par un hybride VGE-Chirac-Séguin. Ce n’est pas, ce n’est plus ce qu’attendent de leur parti les militants et sympathisants de l’UMP.
Courir derrière Copé : une stratégie aléatoire
Seulement voilà, je pense qu’il fait une erreur. Ce n’est pas en courant après Jean-François Copé qu’il gagnera l’UMP. A chaque “niche” politique son leader. A la droite de la droite, c’est Marine Le Pen, incontestablement. Pour la droite-presque-pas-respectable-mais-respectable-quand-même, c’est Jean-François Copé. Il s’est positionné sur cet axe dès 2010 et n’en a pas bougé. Il s’est d’une certaine manière positionné comme le dauphin de Nicolas Sarkozy, avant même sa défaite (ou peut-être l’avait-il anticipée…).
Enfonçons une porte ouverte : l’espace politique de François Fillon n’est pas sur cette ligne. Il y a une force politique qui n’a pas de leader (ou plutôt trop, ce qui revient au même) : le centre-droit, il en est à mes yeux le leader naturel.
Seulement l’émergence d’une véritable force au centre-droit ne peut se faire sans l’implosion de l’UMP qui a complètement phagocyté le centre. Le bon positionnement pour François Fillon, ce n’est pas d’essayer de prendre l’UMP avec une variante de la ligne Copé, mais bel et bien de créer une nouvelle force politique au centre, résolument à droite mais rétablissant le cordon sanitaire avec le Front National qui prévalait jusqu’en 2007. Cela est d’autant plus vrai que l’aventure solitaire de François Bayrou semble avoir vécu, lui-même n’étant pas certain d’être réélu dans sa circonscription des Pyrénées-Atlantiques dimanche. La place est libre, encore faut-il la prendre et avoir le courage de changer de paradigme : il n’est plus possible de rassembler dans un seul mouvement les ex-UDF, démocrates chrétiens, la droite humaniste d’une part, et la « droite populaire » d’autre part.
Un tel positionnement de François Fillon aurait au moins le mérite, salutaire à mes yeux, de prendre à contre-pied la dangereuse trajectoire de l’UMP et de réaffirmer les divergences de valeurs fondamentales entre le Front National et la droite républicaine, il serait grand temps.
Proportionnelle : les assemblées qui n’ont pas été élues hier…
Comme après chaque élection législative, le débat sur le mode de scrutin ressurgit. Les partis peu représentés profitent de cette occasion pour rappeler leur attachement au mode de scrutin proportionnel, à leur yeux plus démocratique. Qu’on soit pour ou contre la proportionnelle, force est de constater que l’assemblée sortie des urnes hier soir est très fortement bipolarisée puisque les deux partis majoritaires emportent plus de 520 sièges, soit plus de 90% de la chambre. Cela doit au minimum nous amener à nous poser, à nouveau, cette question.
Il est donc intéressant de regarder ce qu’auraient été les rapports de force si le scrutin s’était déroulé à la proportionnelle. Pour ce faire j’ai construit cinq assemblées nationales fictives : élection à la proportionnelle intégrale, élection avec un seuil de 1%, de 2% et 5%, à partir des résultats du premier tour, et enfin à partir des résultats du premier tour de l’élection présidentielle.
Gauche : 277 sièges

Droite parlementaire : 200 sièges
Extrême droite : 79 sièges
Gauche : 280 sièges
Droite parlementaire : 204 sièges
Extrême droite : 82 sièges
Gauche : 284 sièges

Droite parlementaire : 207 sièges
Extrême droite : 86 sièges
Gauche : 291 sièges
Droite parlementaire : 190 sièges
Extrême droite : 95 sièges
Gauche : 252 sièges
Modem : 53 sièges
Droite parlementaire : 167 sièges
Extrême droite : 103 sièges
Droite + Modem : 220 sièges
PS + EELV + Modem : 231 sièges
Méthodologie et limites de la démarche
Avant de discuter ces résultats, il est indispensable de faire un point sur la méthodologie et présenter les limites de ma démarche.
1) Les dénominations utilisées sont celles du ministère de l’intérieur.
2) On peut imaginer qu’en cas de retour à la proportionnelle, les accords d’appareil comme celui signé entre le PS et EELV n’auraient plus de justification, et donc que les résultats d’EELV comme du Nouveau Centre seraient nettement plus bas qu’ils ne le sont.
3) A l’opposé, la proportionnelle en plus de renforcer les petits partis à nombre de voix égal pourrait favoriser ceux-ci, comme c’est par exemple le cas aux élections européennes. En 2009 le Parti Socialiste et EELV avaient ainsi presque fait jeu égal.
4) La proportionnelle est souvent présentée comme une solution à l’abstention chronique lors des législatives. Si cela est vrai, il est difficile d’anticiper vers quel parti se tourneront les abstentionnistes.
Quelques constats :
Alors qu’elle est très majoritaire dans l’assemblée effectivement élue hier, la gauche n’obtient une majorité absolue que dans un cas, celui où seuls les partis ayant recueilli plus de 5% des voix obtiennent des sièges. Et même dans ce cas, la majorité est courte puisque le Front de Gauche, le Parti Socialiste et EELV n’obtiennent que 291 sièges à eux trois, soit deux de plus seulement que la majorité absolue de 289.
Dans tous les autres cas, la gauche est minoritaire. Cela ne veut pas dire pour autant que la droite est en mesure de former un gouvernement, puisque dans tous les scénarios il lui faudrait alors s’allier soit avec le Front National, soit avec le Parti Socialiste pour avoir une majorité.
Le pire des cas est finalement le scénario qui pourrait le plus se rapprocher de la réalité en raison des limites de la démarche évoquées plus haut : celui basé sur les résultats du premier tour de l’élection présidentielle. On voit mal dans ce cas quelle coalition pourrait se former pour gouverner le pays. Ni la droite parlementaire, ni la Gauche parlementaire, ni les alliances possibles avec le Modem ne permettent de dégager une majorité : la seule solution à l’équation est une coalition du PS à l’UMP, avec ou sans le Modem et les écologistes.
Si l’assemblée élue hier est loin de représenter la diversité politique du pays, force est de constater que les alternatives présentées ici rendent difficile l’émergence d’une majorité. Il faudrait faire le même travail en utilisant la fameuse « dose » de proportionnelle, mais cela me semble être un terrain méthodologiquement glissant, puisqu’une telle modification du mode de scrutin impose un redécoupage de toutes les circonscriptions. Si quelqu’un a une idée géniale pour construire des projections avec 10-15-20% des députés élus à la proportionnelle, qu’il/elle laisse un commentaire, je suis preneur !